1- un lieu capacitant
est un environnement qui permet le développement de nouvelles compétences et de nouveaux savoirs, et l’élargissement des possibilités d’action et du degré de contrôle sur la tâche et sur l’activité ». Pour ce faire il doit favoriser l’autonomie des individus, c’est-à-dire leur « pouvoir d’agir » individuel et collectif.
La notion de capacitation va donc au-delà de la question des compétences et de la mise à disposition de ressources. Cette approche insiste sur le fait que la liberté et l’autonomie sont les conditions qui permettront réellement le développement du « pouvoir d’agir » individuel et collectif.
Pour Illich, les outils conviviaux accroissent l’autonomie de leurs usagers, ne sont pas en position monopolistique sur les marchés et sont susceptibles d’être « hackés », détournés, pour utiliser une expression actuelle. Un dispositif d’information et de communication convivial n’enferme pas ses utilisateurs dans une logique propriétaire qui, par exemple, freine l’échange des contenus et bride les mises en relation entre les membres des différents réseaux socio-numériques auxquels ils participent.
2- sérendipité
Le principe de la sérendipité est de laisser une place au hasard et à l’exploration non finalisée pour favoriser la découverte de solutions nouvelles et donc à la créativité.
Elle peut être abordée comme une caractéristique de l’environnement mais également de l’attitude et du comportement des sujets qui s’engagent dans des rencontres de manière non « calculée ».
C’est donc parce que l’environnement aura été pensé pour faciliter les associations que la sérendipité sera possible, ce qui par extension permet de parler d’environnement ou de milieu sérendipien.
La permaculture des milieux d’activité s’appuie sur le développement progressif de plusieurs ressources régulatrices facilitant la mise en commun des artefacts et les rencontres entres les membres de différentes activités-projets. Parmi ces ressources régulatrices figurent
(1) des principes généraux liés aux caractéristiques de l’activité et de la vie en commun,
(2) une réification et une incarnation de ces principes dans un agencement spatial, des dispositifs partagés et des rôles et enfin
(3) des habitudes et des routines déclenchées par des affordances à l’issue d’un processus d’ancrage.
Ces affordances et les routines associées, quand elles sont en cohérence avec les principes et les règles génériques, sont la condition de la résilience ou de la robustesse du couplage entre le milieu les activités projets. Quand les collectifs disposent d’une certaine autonomie dans la gestion de leur environnement, la permaculture des milieux d’activité s’apparente à la gestion de communs à l’échelle du milieu d’activité et en particulier, mais non exclusivement, de « communs de la connaissance » (Le Crosnier 2018).
En jouant avec la polysémie du terme de culture pour l’envisager en un sens plus large que celui du domaine agricole, comme propriété des sujets et de leurs œuvres, on peut reformuler les enjeux de la permaculture des milieux d’activités de manière plus générale. Envisagée comme une propriété de l’expérience humaine, la permaculture des milieux vise à permettre l’émergence et l’entretien d’une culture collective durable encourageant le développement de styles professionnels et organisationnels. Envisagée comme une propriété des artefacts, elle vise à permettre le développement d’un patrimoine constitué ressources informationnelles et techniques pérennes, un patrimoine dont il s’agirait également de prendre soin pour assurer la sérendipité des transactions qui en bénéficient. Ainsi envisagés, les enjeux de la permaculture des milieux d’activité rejoignent certaines approches de la gestion des connaissances envisagés dans une
perspective située et distribuée 23 , tenant compte à la fois du rôle des artefacts et de la culture.
Les principes de permaculture des milieux d’activité sont inscrits dans une critique de l’idée selon laquelle l’atteinte de la performance se réduit à la définition d’un « one best way » taylorien qu’il faut optimiser jusqu’à épuisement de l’énergie des milieux humains et techniques.
Du fait de la non reconnaissance de l’importance des transactions capacitantes dans un grand nombre de contextes professionnels, celles-ci sont souvent en partie dissimulées, réalisées dans des temps et des lieux annexes considérés comme relevant de la détente ou de l’informel. Les espaces liés aux activités de soutien, photocopie, détente, restauration sont investis pour la réalisation des transactions capacitantes, d’où l’insistance sur l’importance des échanges « informels » autour de la machine à café dans la littérature.
Une des manières de sortir du cadre monofonctionnel de certains milieux d’activité pour gérer des situations où les activités-projet sont enlisées ou pour adresser des challenges complexes sortant de l’ordinaire, est d’organiser des moments de rencontre focalisés sur des temps assez court dans une logique événementielle : séminaires, conférences ou ateliers. Cette opposition entre deux types de temporalité correspond aux deux grands régimes d’activités collectives auxquels sont associés deux types de milieu.
Sept principes de design pour la permaculture des milieux d’activité selon l’approche transmédia
1. Redondance ou surcodage : la transmédialité exploite l’idée selon laquelle, pour faciliter la sérendipité et le développement d’affordances qui guideront l’activité, il est nécessaire de diversifier les dispositifs d’information et de communication allant de la communication en
présentielle (réunion, conférence, débat…) aux supports informationnels basés sur le papier (rapport, livret, affiche…) en passant par les dispositifs info-communicationnels du numérique (blog, réseaux sociaux, applications mobiles…) eux-mêmes liés à l’espace et aux artefacts matériels.
2. Architecture cohérente ou pertinence :
Chaque dispositif doit rendre lisible sa contribution aux programmes transactionnels des sujets. Une réunion doit afficher ses objectifs et s’appuyer autant que possible sur un compte rendu écrit des décisions précédentes, une intervention orale doit être en relation avec les échanges en cours, l’identité des participants doit être connue comme la nature de leurs engagements dans la ou les activités- projets, une information affichée sur un support numérique doit être facilement mise en relation avec les autres informations sur le même sujet qu’elles peuvent compléter ou présenter sous un jour différent…
3. Adaptabilité ou flexibilité : adaptabilité de l’environnement et du milieu pour permettre le déroulement flexible des différents programmes transactionnels
4. Ancrage spatial et mobilité : Quand elle concerne le milieu spatial, cette approche nécessite la présence des sujets dans les lieux physiques ce qui peut contraindre leur « mobilité ».
5. Extension temporelle et synchronisation : L’extension temporelle vise à permettre l’accès à l’environnement et au milieu selon des temporalités variées que le régime d’activité soit le régime régulier du travail de bureau ou le régime événementiel d’une conférence.
Dans le premier cas, il vise à pouvoir prolonger l’activité de manière désynchronisée, par exemple, à son domicile ou en déplacement. Dans le second, il vise à amplifier l’événement en s’y préparant à l’avance et en le prolongeant une fois que le temps synchronisé et souvent co-localisé, de l’événement est terminé.
L’extension temporelle, si elle contribue à l’adaptabilité, s’oppose à la synchronisation des activités, en présentiel ou à distance, qui permet des transactions communicationnelles tout à fait
singulières selon toutes les dimensions, sensorielle, cognitive et relationnelle.
Comme dans le cas du couple ancrage spatial versus mobilité, les possibilités offertes par le numérique en matière d’extension temporelle et donc de désynchronisation, conduisent à réinterroger le potentiel de la synchronisation, en présentiel ou à distance, pour caractériser de manière plus fine les dispositifs de communication qui y recourent et leur potentiel de sérendipité.
6. Transparence et autonomie : La transparence contribue à l’autonomie des sujets qui ont une meilleure compréhension de leur milieu comme à la cohérence de l’architecture informationnelle et à la pertinence des contributions.
7. Utilisation équitable : au niveau de l’environnement élargi, l’utilisation
équitable ou fair use « est un ensemble de règles de droit, d’origine législative et jurisprudentielle, qui apportent des limitations et des exceptions aux droits exclusifs de l’auteur sur son œuvre (droit d’auteur). Il essaie de prendre en compte à la fois les intérêts des bénéficiaires des droits d’auteur et l’intérêt public, pour la distribution de travaux créatifs, en autorisant certains usages qui seraient, autrement, considérés comme illégaux » .