Inès Léraud et Pierre Van Hove, déjà auteurs de la bande dessinée d’investigation Algues vertes, l’histoire interdite sur le lien entre l’agriculture intensive et les algues proliférant sur les côtes bretonnes, nous livrent ici un reportage révélant les multiples impacts désastreux du remembrement sur les campagnes. Ambiance du village, conditions de vie, rapport au vivant… la destruction arbitraire des haies et des arbres fruitiers à la sortie de la seconde guerre mondiale a profondément déstabilisé des équilibres rythmant les campagnes, au point que le traumatisme reste vivace 60 ans plus tard.
La bande dessinée éclaire sur la brutalité des décisions « hors-sol » prisent par des technocrates ignorants les contraintes du terrain, et sur le climat insurrectionnel régnant dans certains villages comme Fégréac en Loire-Atlantique. C’est également le rapport au territoire et la relation des paysans avec leurs bêtes qui s’est perdue avec l’arrachage des haies et la suppression du bocage pour favoriser la mécanisation. Les chevaux de trait envoyés à la boucherie pour acheter des tracteurs ont disparu des campagnes et de la vie des paysans, les parlers locaux comme le gallo ou le brezhoneg avec. Chassés de leurs fermes, les campagnards ont gonflé les effectifs des usines en manque de main d’œuvre, vidant les villages de leurs habitants. Ainsi, ce remembrement a brisé les campagnes, dans un double mouvement de suppression des conditions de subsistance par l’accaparement des terres par les agriculteurs agrandissant leurs exploitations et par la soumission de ces derniers exploitants aux logiques industrielles des lobbys agricoles.

Si cette histoire du remembrement est effectivement enfouie, c’est bien qu’elle constitue un point de bascule d’une société paysanne basée sur la production vivrière et la revente du surplus, à une logique de marchandisation généralisée et d’optimisation poussée de la rentabilité des fermes au détriment de toute considération de bien vivre.
J’ai particulièrement apprécié dans cet ouvrage la présence de locution bretonnes et gallo, la place accordée au cheval de trait et à la vie paysanne dans les campagnes, autant de thématiques qui me sont chères.
Je ne résiste pas à l’envie de vous partager une chanson en langue bretonne sur le remembrement que j’ai écrite et enregistrée avec Daonet en 2003.
Une bande dessinée réussie et touchante, à la croisée entre de multiples thématiques portées par notre association. En particulier, le récit s’achève en référençant deux ouvrages également présents dans notre bibliothèque : Reprendre la terre aux machines de l’Atelier Paysan et La subsistance, une perspective écoféministe de Maria Mies et Veronika Bennholdt.