L’ancien chercheur en sciences cognitives et philosophie, également auteur de romans graphiques, nous livre ici un essai politique tentant de tracer des pistes optimistes pour un éveil écologiste. Alessandro Pignocchi s’appuie sur l’expérience de la ZAD de Notre Dame des Landes, et sur le rôle qu’elle joue de catalyseur des Soulèvements de la Terre pour imaginer un scénario dans lequel l’oscillation de la population entre les centres urbains et les milieux de vie nourriciers permettrait d’établir un rapport de force entre des zones de résistances disposant de capacités de subsistance alimentaire et l’État défenseur du capitalisme industriel mortifère.
J’ai apprécié les références à de nombreux ouvrages de notre bibliothèque commune : Au commencement était … une nouvelle histoire de l’humanité par David Graeber et David Wengrow, Terre et liberté, la quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance d’Aurélien Berlan, Reprendre la terre aux machines. Manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire, de L’Atelier paysan ou On ne dissout pas un soulèvement et Premières secousses les ouvrages des Soulèvements de la Terre.
Parmi les pistes proposées, la sécurité sociale alimentaire a le mérite de flécher les budgets alimentaires vers des production définies en commun via des caisses locales. L’idée de créer de nouveaux rituels pour reconfigurer nos rapport au vivant m’a rappelé notre projet de Cordée.
Pour conclure, Alessandro Pignocchi nous livre ici de belles réflexions puisées dans les lectures des penseurs du vivant et des anthropologues anarchistes ponctuées de planches de BD volontairement décalées donnant du corps à l’essai.
Prises de notes
p24 « La modernité peut d’ailleurs être définie sur cette base, comme époque qui a drastiquement appauvri la relationnalité avec les vivants non-humains sur le plan cognitif comme affectif […] En symétrie des « animaux-enfants » [les chats et les chiens] la modernité a transformé l’élevage en « animaux-matière », c’est à dire des êtres objets avec lesquels les relations sont exclusivement utilitaires, épurées de toute forme d’empathie. Cette séparation radicale entre subjectivation et usages, empathie et métabolisme, est proprement moderne. »
p26 « La domestication, sous ses multiples variantes non modernes, est précisément le domaine où les relations subjectivantes entre humains et non-humains ont été les plus riches et intenses, où elles ont donné lieu à la créativité rituelle et sociale la plus sophistiquée. Il y a bien une rupture dans les pratiques mais elle est beaucoup plus récente. Elle ne s’opère pas au Néolithique par une inexistante révolution agricole, mais dans les derniers siècles avec l’expansion hégémonique de la domestication moderne. Celle-ci, contrairement aux multiples formes de la domestication non-moderne n’est basée que sur le contrôle. »
p27 « Volonté d’autodétermination et désir d’entretenir des relations riches avec les autres vivants se renforcent mutuellement. Une certaine autonomie politique et matérielle est la condition pour rester en partie maître de son destin et de son quotidien, et donc pouvoir composer soi-même ses relations avec les milieux de vie qui vous accueillent et les non-humains qui les peuplent. »
p35 « Appelons « perspectives terrestres » la nébuleuse des propositions qui ambitionnent de maintenir un projet politique global sur la base d’une conception renouvelée du local. Le local des perspectives terrestres est orienté vers une dédivision du travail, tant matérielle que morale, vers une réappropriation collective et une revalorisation symbolique des pratiques de subsistance. On aspire ainsi à enrichir et à densifier les relations subjectivantes aux vivants non-humains tout en les réenchevêtrant dans les relations métaboliques. »
p35 « Les liens terrestres sont en partie choisis, ou du moins façonnés par les usages, par la participation à des formes d’autonomie matérielle et politique; se sont des liens sans cesse repensés pour en éliminer autant que possible les rapports de domination. »
p89 « Une partie des classes populaires revendique des pratiques qui relèvent de l’écologie (jardinage de subsistance, bricolage, cueillette de champignons et chasse populaire, moindre consommation, économie morale de la décence, rejet du gaspillage, etc.) tout en niant fermement qu’il puisse s’agir d' »écologie ». »
p114 [l’agriculture industrielle] « est l’une des pierres angulaires du système de domination que nous connaissons, puisqu’elle orchestre la dépossession à grande échelle des moyens de subsistance et installe la dépendance au marché comme outil de gouvernance. »
p134 « Construire des formes d’autonomie territorialisée permet de s’attaquer aux racines de la domination moderne : on prend acte que l’on ne saurait affaiblir les structures de la modernité capitaliste tant que l’on reste vitalement dépendant d’elles. Desserrer l’étau du marché et, ce faisant, retrouver quelques marges de manœuvre ne peut passer que par la construction de formes d’autonomie matérielle. »
p153 « les fédérations de territoires autogouvernés constituent des bases arrières pour lancer des actions offensives contre les infrastructures et les institutions du capitalisme industriel. »
p 189 « l’agriculture industrielle est la clé de voute de la dépossession à grande échelle des moyens d’autosubsistance, qui elle-même sert de fondation au système de domination que nous connaissons »
p 199 « les coutures cèdent un peu partout et l’on entrevoit la possibilité d’une incarnation collective et joyeuse des affects terrestres »
p 212 « Les anthropologues qui côtoient des populations animistes racontent que nombre de leurs rituels sont accomplis avec un mélange de sérieux et de distance ludique et amusée. »
p 214 « La théologie dominante et la conception moderne du progrès ont désentrelacé les activités de subsistance et les pratiques rituelles et festives, contribuant ainsi à leur dégradation symbolique et à leur appauvrissement affectifs […] L’institution de grandes oscillations saisonnières entre centres urbains et campagnes nourricières, ou entre différents milieux de vie, dans l’entremêlement des différents mode d’existence qu’elles permettent, pourrait contribuer à enrichir l’épaisseur affective et festive des activités de subsistance. »