Pierre Charbonnier : « L’écologie, c’est réinventer l’idée de progrès social »
Si un contact se crée entre de bons connaisseurs des technologies ou des dispositifs de régulation environnementale, des collectifs de riverains, et des gens qui ont un regard distancié sur la construction politique de ces appareils, je pense que tout le monde en profite. Mettre en relation des institutions, des normes, des machines, des idéaux politiques, c’est un savoir-faire intellectuel très important aujourd’hui
Il y a dans le monde tel qu’il fonctionne, dans les rapports technologiques, scientifiques, institutionnels, de marché, des pathologies telles qu’elles nous obligent à repenser les formes de notre émancipation, de notre liberté.
Pour un écologiste cohérent, le changement climatique, les grandes transformations écologiques et leur enchâssement dans des structures économiques et politiques va nous obliger à nous redemander à quoi on tient, à redéfinir ce pour quoi on est prêts à se battre.
la sobriété démocratique consiste en de grandes réformes infrastructurelles sur l’énergie, l’usage des sols, les systèmes agraires, la réorganisation des villes et des transports, qui permettraient de redonner aux gens une prise sur le territoire. Ce projet réinvente la liberté après la croissance sous la forme d’une réorganisation des forces sociales dans l’espace, à l’écoute des caractéristiques du milieu.
si on commence à s’intéresser à la pollinisation, par exemple, et si on remarque que les agrosystèmes actuels sont obligés de faire artificiellement ce que les abeilles et autres insectes pourraient faire d’eux-mêmes, on voit bien qu’il y a un souci8. Pour obtenir une récolte, il faut à minima la coproduire avec un ensemble d’autres acteurs non-humains, qui ne travaillent pas véritablement, mais qui sont incontournables dans le résultat final. Dire que l’on « produit », c’est couper les liens que l’on entretient avec toute une gamme d’être vivants et non vivants, et couper les liens, c’est fragiliser les alliances
« L’ubiquité des modernes » veut dire que nous […] ne sommes pas capables de dire où nous habitons. De fait, nous habitons sur deux types de territoires complètement divergents […] : un territoire juridico-politique, contenu dans des frontières nationales. Et puis il y a un autre espace de référence […], c’est notre empreinte écologique : la quantité d’espace biophysique nécessaire pour entretenir notre forme de vie, pour reconstituer les ressources que l’on consomme et entretenir les cycles écologiques qui nous soutiennent (eau, air, etc.). Ce second espace, bien plus grand et bien moins officiel que l’espace politique et juridique de l’État-nation, est d’ailleurs assez étrange puisque, dans notre cas, il excède la surface totale du globe. L’ubiquité, c’est cela : une condition qui consiste à être à la fois dans l’espace défini par une juridiction nationale et dans un territoire géo-écologique découpé de façon totalement différente. […] Faire de l’écologie, c’est mettre fin à cette ubiquité.
Si l’écologie est un enjeu démocratique fondamental, c’est avant tout parce que ce qui se joue avec cette grande transformation à venir, c’est la redécouverte d’une terre, d’un territoire, qui soit capable de supporter l’existence collective sous sa forme égalitaire. Ce n’est pas que l’écologie est un enjeu démocratique parmi d’autres — la démocratie elle-même tient à l’exigence écologique.