Perspectives Low-Tech, comment vivre, faire et s’organiser autrement ? de Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe

Dans l’ouvrage Perspectives Low-Tech, comment vivre, faire et s’organiser autrement ? paru en mars 2023 aux éditions divergences, Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe reviennent sur l’histoire de la low-tech en France et analysent une évolution récente qu’ils déplorent. Synthèse.

Nouveautés avril 2023 de la bibliothèque commune de Cordemais en permaculture

Nouveautés avril 2023 de la bibliothèque commune de Cordemais en permaculture

p17 « Dès les premières années d’apparition du terme « low-tech » en France différentes incarnation, visions, cultures, héritages et discours cohabitent donc déjà. Assez caricaturalement : une low-tech vernaculaire et internationaliste, plutôt axée sur la débrouillardise et une bonne connaissance de son milieu et une low-tech plus institutionnalisée, centrée sur l’expertise technique et une vision macroscopique des contraintes »

Ces deux mouvances, représentées par Philippe Bihouix l’auteur du livre L’âge des low tech, prix de la fondation de l’écologie politique 2014, d’une part et le Low-Tech Lab auquel appartient l’un des deux auteurs du présent ouvrage Quentin Mateus, d’autre part, si elles ne partagent pas une définition commune du terme low tech, conservent en commun une complaisance envers le monde industriel.

p20 « les relations qu’entretiennent Philippe Bihouix ou les membres du Low-Tech Lab avec le secteur de l’industrie ne permet pas non plus de trancher sur une forme d’incompatibilité profonde entre démarche low-tech et production industrielle de marchandise. »

Le mouvement bicéphale se revendiquant de la low-tech peine à s’accorder sur une définition fédératrice. La recherche d’une acceptation commune semble inhérente à une communauté se constituant.

p20 « le processus en tant que tel, d’écriture collective d’une définition, par lequel tout groupe de personnes ou individu qui s’intéresse à la low-tech doit passer, n’est-il pas une étape nécessaire à cette démarche elle-même ? »

Fin 2020, les visions économico compatibles et éthiques s’opposent.

p25 « à la fin de cette année pivot pour la low-tech [l’année 2020], le fossé devient de plus en plus visible entre un lissage institutionnel – les premières formes de low-tech washing – et une vision sociale ainsi que critique de cette pratique. »

Sort en mars 2022 l’étude de l’ADEME confiée au cabinet de conseil Goodwill Management avec l’aide du Low-Tech Lab : Démarches « Low Tech », Etat des lieux et perspectives.

p26 « Malheureusement, si certains acteurs se demandaient encore un ou deux ans auparavant s’il fallait adapter la low-tech aux entreprises (ou l’inverse) l’ADEME finit par répondre par la positive. En effet, l’enjeu partagé par l’institution et le cabinet de conseil [Goodwill Management] […] est de rendre le concept séduisant auprès de l’ensemble des acteurs économiques à qui cette démarche pourrait bénéficier en les amenant sur des trajectoires de sobriété […] Alors qu’il aura fallu presque dix ans pour situer le terme low-tech dans une posture critique et dans d’autres imaginaires, le « pragmatisme » institutionnel et économique se retrouve à lisser ce travail réflexif »

Pour Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe, le mouvement low-tech, s’il existe, devrait prendre position sur les alliances et oppositions opportunes afin de se prémunir d’une récupération et d’un évidage de la dynamique initiale de remise en cause de la société héritée des penseurs écologiques du XXème siècle.

p35 « Si des acteurs de la low-tech considèrent que nous devons adopter des modes de vie plus soutenables, notamment grâce à un nouveau rapport à la technique […] alors il nous faut bien distinguer parmi les défenseurs du terme ceux qui luttent contre une transformation profonde de nos sociétés et ceux qui la favorisent. Il y a des acteurs et des idées à accueillir, et au passage des alliances à forger ou à renforcer, d’autres à repousser et à combattre. »

Les auteurs décrivent la pensée technicienne propre à l’esprit ingénieur français. Ils déplorent qu’en découle une définition de la low tech technocrate oubliant les dimensions sociales et philosophique du mouvement.

p91 « Il nous semble que chercher la low-tech à l’échelle sans pousser plus loin la critique des fondements du modèle actuel revient à ignorer la remarque d’Albert Einstein : un problème créé ne peut pas être résolu en réfléchissant de la même manière qu’il a été créé »

Pourtant ils tombent eux-même dans l’écueil en appelant à une démocratie technique, oubliant le principe de subsidiarité selon lequel la personne confrontée à un problème reste la plus à même de le résoudre.

p139 « sans démarche low-tech sociale, culturelle et politisée, la low-tech ne contribue pas à une « démocratie technique » , et sans instances de délibération démocratiques des nos choix sociotechniques et socio-économiques la low-tech risque de ne pas atteindre sa dimension systémique, culturelle ou sociale »

Ainsi l’ouvrage se termine sur un appel à re politiser les low-tech afin de les relever au niveau des enjeux du XXIème siècle.

Si le propos demeure clair et instructif, je me demande comment il est possible de parler de low tech sans même évoquer la permaculture, qui reste le mouvement le plus important incarnant véritablement les visions défendues par les auteurs. Il semble paradoxal de citer comme seul exemple convaincant de leur vision de ce que serait un mouvement pertinent, la coopérative de L’Atelier Paysan qui elle-même récuse le terme de low-tech, précisément en raison de l’approche ingénieure descendante le caractérisant en France.

Nouveautés septembre 2021

C’est pour moi passer à côté du sujet de la low-tech que de penser qu’elle ne répond qu’au besoin de subsistance :
p75 « En partant d’une théorie des besoins réels ou essentiels la low-tech répond finalement à la question : de quoi ai-je besoin pour (sur)vivre ? […] mais la société de consommation de masse ajoute une variation à la question : de quoi ai-je besoin pour m’épanouir ? »

Les nouveautés de février 2021

La pensée d’Illich, énoncée dans La Convivialité et Énergie et équité dès les années 1970, précisément, répond au besoin de singularité essentiel à l’épanouissement humain. Cantonner la low-tech à une réponse à des contraintes physiques et sociales revient à manquer son sujet principal et déterminant : l’expression de la créativité de chacun.

Pour aller plus loin, des ouvrages récents comme Terre et Liberté d’Aurélien Berlan, Le sens des limites de Renaud Garcia ou Une question de taille d’Olivier Rey, par trois auteurs enseignant par ailleurs la philosophie, apportent une dimension plus existentielle aux choix technologiques. Réappropriation de Bertrand Louart et Reprendre la terre aux machines de l’Atelier paysan abordent de leur côté l’approche politique en partant de la pratique.

Au final, « Perspectives Low-Tech, comment vivre, faire et s’organiser autrement ? de Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe » reste un livre important pour comprendre la dynamique propre des personnes et organisations se revendiquant de la low tech actuelle en France, mais qui passe comme souvent à côté de la portée philosophique en germe dans ce mouvement.

Arnaud Meillarec

Depuis 2015, il met en place le Jardin-forêt des marais alliant arbres, plantes pérennes et annuelles sur 1000m2. En 2017, il co-fonde l'association "Cordemais en permaculture".